Zones poreuses

Zones poreuses

„Corps obèse, corps paysage tant il a perdu à certains points de vue l’aspect du corps et de sa sexualité. Il a néanmoins trouvé une nouvelle cohérence, une autre beauté.
L’addiction est si proprement, si typiquement humaine et paradoxalement elle passe toujours par ce qui est le plus animal chez nous, le corps. Elle le triture, le déforme, le dérègle, l’intoxique…“

Guy Oberson
Extrait du journal d’atelier (à propos de „Endless Firt Cry“)

 

 « Zones poreuses naît d’une quête autour du thème de la perméabilité, de l’osmose entre un intérieur et une surface qui explore les liens entre le monde naturel et la science, la raison et l’inconscient.
Cette quête, loin d’être isolée, s’inscrit dans un contexte plus large qui révèle le rôle essentiel du corps dans le processus artistique. À l’encontre d’une conception immatérielle et cartésienne, la science et l’art y seraient conçus non comme données théoriques, mais comme des réalités incrustées dans la réalité de la chair. En ce qui concerne le rôle de l’artiste, ce qui entre en jeu ne serait pas seulement le corps en tant que modèle, représentation, mais aussi le corps de l’artiste lui-même, un corps sujet, « sentinelle », trait d’union, inséparable de l’acte même de rendre visible.
Dans « Pigment », c’est la peau de la peinture à l’huile à s’exprimer, dans un passage entre transparences et ombres. Si la surexposition de la palette des blancs et des gris semble donner au personnage une consistance éthérée et surnaturelle, la brutalité des traînées du noir profond s’écoulant de ses bras tatoués le cloue dans sa condition d’homme. La vision de cet ange-diable qui nous fait penser à un Caravage contemporain, semble nous dire : méfiez-vous des apparences et des appartenances
Dans la série des huiles « Hante-moi, hante-moi encore », trois corps de femme en séquence, concentrés en un monologue secret qui relie leur tête à leur sexe. Trois corps qui s’amenuisent et se désincarnent au fur et à mesure que le monologue se fait plus serré, canal rouge, jusqu’à devenir blessure. Trois corps font face aux mots, comme si la parole qui ne peut plus être dite se cristallisait à jamais dans la chair
Dans les interstices du corps et de l’esprit, les œuvres présentées dans Zones poreuse dessinent un parcours fait de passages. Un parcours poreux au bout duquel on réalise l’importance du regard de l’artiste qui révèle l’essentiel, car l’essentiel est ancré dans un tissu vivant. Nous aimons beaucoup la phrase de Paul Valéry : « Le peintre apporte son corps ». Une image intemporelle de l’artiste en tant qu’être « engagé », au sens le plus profond du terme. »

Antonia Nessi, historienne de l’art
Extrait de « Passages»
texte plublié dans « Zones poreuses – Carte blanche à Guy Oberson »
Galerie C, Neuchâtel, 2016

 

« Le cœur, le cerveau, la respiration, la peau, le sang, le visage, la parole… Pour l’artiste Guy Oberson l’exploration de l’anatomie humaine évoque sans conteste un acte bouleversant et profondément séduisant. Serait-il ainsi pertinent d’apparenter cette obsession du morcellement et de l’introspection du corps à l’activité d’un savant qui procède minutieusement à un examen radiographique ? Ou aux travaux d’un photographe en quête d’un reportage ?
…Radiographier signifie, pour Guy Oberson, réconcilier le savoir anatomique et la connaissance sensible, le rationnel et l’émotion. Soumise aux pulsations internes du corps qu’elle taille, la main de l’artiste vibre et libère son propre émoi, son énergie accablante2 (« Motion-Mode 1 et 2 »). Sur le papier, la proportion de blanc et de noir mesure l’intensité de ce transfert.
Il subsiste dans la radiographie de Guy Oberson quelque chose de l’expérience mystique qui transforme la substance du corps en objet fétiche. Dans le tissu d’une ample robe (série « Dress ») s’inscrivent les empreintes des organes, l’ossature du torse et les stigmates. La révélation de cette image est duale, l’habillement étant à la fois suave et funèbre, volatil et pesant. À d’autres reprises, la représentation trahit une intention impudique dévoilant des portraits fortement intimes et sensuels. Supposé cacher le corps des regards extérieurs, l’habit exhibe au contraire la matière interne. Des profondeurs du corps, s’arrache à la surface un décor teinté. Le squelette du modèle se transforme en chevalet de couturier, la chair devient flexible comme une étoffe, le sang imprime des motifs, des ornements sur le textile. La relation entre le vêtement et le corps retrouve ainsi un statut privilégié qui abolit l’opacité au profit de la visibilité, la densité des matières au profit de leur fluidité.
Sous l’effet d’une surexposition, d’une illumination quasi divine, un jeune homme (« Pigment ») détourne son visage et arbore son bras tatoué. À la surface de l’épiderme se trouvent les codes de son existence rejetant toute destinée banale ou conforme. Ici, c’est le tatouage et non pas l’habit qui exhibe le binôme corpsêtre, en constituant sa graphie la plus fidèle. C’est la manifestation cutanée qui détient les clés de la connaissance et de la conscience de l’être. Ainsi, loin de la catégorisation et des préjugés sociaux, l’obésité d’une femme se camoufle dans l’érotisme de sa silhouette (Endless First Cry). Les plis saillants de la peau dessinent le plan d’une géographie intime, à jamais sublimée.
« La zone poreuse » a enfin atteint sa surface véridique, palpable, intelligible, son absolue radiographie!

Dora Sagardoyburu, historienne de l’art
Extrait de « Guy Oberson – Le corps radiographié»
Texte plublié dans « Zones poreuses – Carte blanche à Guy Oberson »
Galerie C, Neuchâtel, 2016

 

Une exposition sous le titre éponyme a été présentée à la Galerie C, Neuchâtel en 2016:
Avec des oeuvres de Jennifer Alleyn, Eric Manigaud, Guy Oberson, Françoise Pétrovitch, Eric Sansonnens et Heike Schieldhauer.
http://www.galeriec.ch/carteblancheguyoberson