PORTRAITS
« Ici, une tête surgie de la blancheur laiteuse d’une feuille hâtivement recouverte ; là, la figure fragmentaire d’un corps étendu au sol, tramé par la pierre noire, qui se déploie sur toute la largeur d’un grand papier. Là encore, comme un visage occulté, d’une noirceur intense, aux allures d’un essaim d’abeilles – à moins que ce ne soit justement l’inverse. Face aux œuvres d’Oberson surgissent toutes sortes de questions dont la première est celle du modèle. Quelles sont donc ces figures ? Que sont ces paysages, ces natures mortes ? Quelles relations entretiennent-elles au réel ? Sont-elles le fruit de la seule imagination de l’artiste ou travaille-t-il d’après un modèle existant ? La réponse est sans ambiguïté : « Cela ne sert à rien de faire des choses figuratives sans modèle », dit-il fort d’une expérience passée où il était abstrait et qu’il n’a pas poursuivie parce qu’il a toujours recherché « la vraie vie », « l’odeur de la vie », comme il dit, « la vie, la mort, le sexe, le côté sombre. »
Le réel donc, qu’il soit éprouvé en direct, revivifié par le truchement de la photographie ou réactivé par la mémoire. Le réel, qu’il soit figure, paysage ou nature morte, dans cette relation tangible au monde du vivant et dans l’épreuve sensible d’un ressenti. Un réel décalé toutefois, Oberson ne l’empruntant que pour en établir une image qui lui soit propre et qu’il détermine en recadrant celui-ci. Cet exercice est révélateur de la façon dont il s’empare du réel soit en focalisant son regard sur un détail et en l’extrayant de son contexte pour mieux faire jaillir la vérité d’être de son sujet, soit en le plaçant dans un espace recadré qui en amplifie la force de signe, soit en conjuguant ces deux modalités.»
Philippe Piguet
Critique d’art et commissaire d’exposition
Extrait de «Noir, mémoire et oubli» publié dans « GUY OBERSON – SOUS LA PEAU DU MONDE », Editions Till Schaap Genoud, Bern, 2015
http://www.tillschaapedition.ch/guy-oberson-sous-la-peau-du-monde.html