Erreur de paradis
« Si on se rend aujourd’hui de Ramallah, en Palestine, à Shanghai, en Chine, et plus loin encore, à Fort Chipewyan, dans l’extrême nord de l’Alberta – comme Guy Oberson – on ne peut le faire que de façon lucide et démunis de tout parti pris. Plus que le résultat visible d’un ou de plusieurs voyages, nous avons ici le fruit d’une sensibilité d’artiste en quête d’une évidence. Le périple garde quelque chose d’un itinéraire initiatique et, quand l’expérience concrète du voyage ne suffit pas, le recours à l’oeil omnivoyant du Dieu Google Earth peut parfois porter secours. Mais cela uniquement pour confirmer ce qu’au fil des jours et des kilomètres devient de plus en plus une certitude : non seulement que le Paradis n’existe pas, mais qu’il est incompatible avec la condition humaine.
ET ALORS ? QUE FAIRE ?
La présente exposition tente de donner une réponse. Elle vient par le biais d’images qui nous offrent, l’une après l’autre, les stations d’un parcours fait de défis et d’interrogations. Prendre mais surtout faire des images, voilà une démarche paradoxale, qui a besoin de « perspective », c’est-à-dire d’un œil, capable de voir « à travers », de vaguer dans les profondeurs de l’espace, tout en gardant son autonomie.
On ne s’étonnera donc pas des clivages ici à l’oeuvre. Une vue à vol d’oiseau de la grande mosquée de Bagdad transmue l’édifice de prière en mandala tourbillonnant. Le rapprochement empathique des gens et des lieux rend la représentation presque impossible. Le cadre se brise ou bien s’estompe. Les visages s’évanouissent et flottent dans des espaces incertains. Une forêt surgit de nulle part, pour aussitôt disparaître, à l’instar des spectres qui la hantent. Les paysages défilent sous les yeux éblouis du voyageur, qui en interroge l’étendue, en leur donnant quelque chose de la couleur de ses rêves.
Ce monde est fait de cris, de peurs, de pleurs. Les gestes sont les fragments d’un discours heurté, mais obstiné. En dépit de tout cela, l’univers d’Oberson est loin de tout défaitisme apocalyptique, comme il est loin de toute tentation utopique. La réflexion proposée ne vise pas la posthistoire, mais l’ici et le maintenant. Pour se réconcilier avec ce monde, il faut s’y confronter sans tabou. La réconciliation ne pourra jamais être totale, et ne doit pas être totale. La confrontation, elle, oui. Elle n’implique pas seulement l’oeil, mais aussi – dans le cas d’un artiste-faiseur-d’images – la main. On réalisera alors la signification de la largesse gestuelle qui est, il me semble, l’une des caractéristiques majeures des œuvres exposées ici. Cette exposition parle non seulement par les images mais aussi à travers les gestes qui les ont engendrées. Le geste, on l’a dit, s’exaspère par lui-même. Il atteste d’une révolte latente mais inébranlable, forte parfois comme seulement peut l’être le mariage entre le kyrie et l’anathème. »
Victor Stoichita, historien d’art
Extrait de « Guy Oberson – Erreur de paradis », publication, Musée d’art et d’histoire de Fribourg, Fribourg, 2015
«Erreur de paradis» a fait l’objet d’une exposition monographique au Musée d’art et d’histoire de Fribourg CH en 2015