BRAIN RITUALS
«Brain Rituals» (les rituels du cerveau) est la réalisation de125 dessins au graphite sur papier de 40 x 30 cm chacun selon un processus défini et identique. Dessins destinés à être présentés à l’intérieur d’une chambre obscure dont la visite se fait à la lampe-torche.
« Pour ce que le dessin est l’enregistrement de la voix haute de la pensée, il trouve chez Guy Oberson l’occasion d’un écho mémorable qui l’apparente à l’ordre d’un organe vital à l’instar de la respiration ou du battement de cœur. La relation primordiale qui l’inscrit dans une dynamique entre le corps et l’esprit préoccupe de tout temps l’artiste dans sa réflexion sur la nature même du dessin. Aussi s’est-il donné pour objectif d’en envisager la conception sans aucun préalable, ni préméditation en créant pour cette exposition tout un ensemble destiné à une présentation spécifique. Ainsi est né le projet de Brain Rituals – mot à mot « les rituels du cerveau ».
Installés à saturation et à touche-touche à l’intérieur d’une structure totalement occulte, en forme d’un cube de 2 mètres de côté, les quelques 125 dessins que Guy Oberson a réalisés au cours de ces derniers mois sont à découvrir à la lampe torche, selon un protocole de visite réglementé. En les reliant entre eux par tout un réseau très dense de fils recouverts de peinture luminescente, il contribue non seulement à souligner leur communauté originelle mais invite le visiteur à composer avec le phénomène de rémanence lumineuse dès lors que celui-ci éteindra sa lampe. « J’aimerais donner l’idée que l’on se trouve dans le cerveau de l’artiste », dit Oberson. De fait, il en est ainsi et cette installation fonctionne à l’image d’un noyau dur.
En quête d’une forme de création qui l’assurerait d’un « absolu confidentiel », comme il en parle, Guy Oberson n’a jamais caché sa fascination pour l’univers des artistes de l’art brut. Il dit chercher à atteindre la sincérité et l’authenticité qui caractérisent leur travail et les protègent de toute considération périphérique. Du moins est-ce dans cette intention qu’il a pensé Brain Rituals au regard d’une présentation qui lui permet du moins de rendre visibles ses œuvres « comme un cahier intime » et leur « retrouver un espace privilégié d’expression ».
Au travail, Oberson s’est abandonné au pur plaisir d’un exercice faisant « l’éloge de la surprise, de la liberté du geste et de la pensée, de l’énergie du dessin. » C’est dire si cet ensemble est au plus proche d’une définition ontologique du dessin, dans cette qualité qui le détermine à l’aune d’une pleine collusion entre le corps, l’esprit, les outils et les matériaux. « Je prends un vrai plaisir dans la poursuite de mes Brain Rituals, écrit l’artiste dans ses notes à la date du 17 août, même si à chaque démarrage il y a une légère angoisse à se lancer sans préparatif, tout commence avec le premier tracé de crayon. Je retrouve la jouissance du dessin à l’état pur, le « droit au geste gratuit », la jubilation de l’enfance, un peu de ce qui me semble être la nécessité essentielle des artistes de l’art brut. » Guy Oberson voudrait-il réactiver le « droit de tout oser », jadis revendiqué par Gauguin, il ne le dirait pas autrement.
En fait, ses dessins ont cette qualité supérieure qu’ils ne doivent à personne sinon qu’à eux-mêmes. Paraphrasant Manet parlant de peinture, on pourrait dire que le dessin chez lui « n’est autre chose que [le dessin, il] n’exprime que [lui-même] ». Une façon non pas d’évacuer toute tentative d’analyse mais au contraire de la recentrer sur son objet et ne pas chercher à le rendre dépendant d’un autre. Le dessin est en amont, il est au point source et la source n’est ni le ruisseau, ni le fleuve, encore moins l’océan. Il est un lieu propre, un lieu origine. Unique. C’est en ce point-là que l’art de Guy Oberson nous conduit, à l’origine de la vie. Là où siège ce qu’il appelle « la vraie vie », « l’odeur de la vie » et le cortège qui la constitue, à savoir la mort, le sexe, le sang. Là aussi où souffle l’esprit.
Philippe Piguet, curateur et critique d’art
Extrait publié dans « Guy Oberson – Je ne peux fermer les yeux », Analogues, Revue hebdomadaire pour l’art contemporain, no.409, Arles, France, 2017
http://www.analogues.fr/?p=10097
Cette installation a été présentée à la Galerie de l’Etrave, espace d’art contemporain de la ville de Thonon-les-Bains, en 2017
Curateur: Philippe Piguet